lundi 16 juillet 2018

Sur le documentaire "L'Empire de la perfection" de Julien Faraut (2018)



« Il est très rare qu’un grand champion montre ses faiblesses. Mc Enroe ne cherche jamais à montrer l’image d’un sportif indestructible ».
Cette phrase du réalisateur Julien Faraut constitue un postulat esthétique intéressant de son film, à rebours de l’imagerie classique du champion qui a tout gagné, mais qui n’est hélas pas suivi à l’image. Ce n’est pas un film sur la qualité particulière du jeu de l’intrépide Américain, mais un film sur le sport filmé, et ses rapports avec un génie du sport. « L’empire de la perfection » est sorti ce mercredi et nous avons couru le voir.





Pour ceux qui ne l’ont pas connu, Mc Enroe c’était une rock-star égarée sur un terrain qui aurait pris sa guitare à l’envers. Un gosse des beaux questriers de New-York, qui n’eut jamais entraîneur sur le circuit ATP. Il demandait amicalement à l'un ou l'autre joueur du fond du classement de faire quelques balles avec lui, le matin, ou avant de jouer. (J'ai le témoignage d'un ex-450ème mondial). Et en effet, qui aurait pu superviser Nijinsky ? Danseur plus qu’athlète, il pratiquait un tennis d’un autre monde où le but n’était pas d’étouffer l’autre par plus de puissance. Il y a trente ans il s’agissait encore de finesse, de toucher de balle, de placement, de ruse, de malice. Les corps des athlètes n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Comme Pat Cash ou Bjorn Borg, ils étaient plus fins, plus élancés.

 (Voir les extraits d'une finale de Wimbledon >)  Et il y a un vrai plaisir esthétique à regarder évaluer John Mc Enroe, dans les ralentis où l'on regarde uniquement le joueur et non le point.


John Mc Enroe. Mac. Un nom en trois majuscules qui s'énonce par une longue syllabe, deux brèves, puis une longue de nouveau : le rythme exact de la balle de tennis. 

Le documentaire appuie sur le portrait caractériel et oublie ce qui fit de John Mc Enroe un cas unique dans l’histoire, et accessoirement l’inventeur d’un geste sportif jamais reproduit. Son service, effectué dos au filet et dans un geste de rotation/bascule hallucinant, puisait sa force dans le maximum d’élasticité de ce geste, tout en dissimulant la direction de la balle. Au moment où il frappait la balle, Mac Enroe était déjà 1m 50 à l’intérieur du terrain, prêt à surgir au filet, et par cette trajectoire cachée, le receveur avait déjà 500 millisecondes de retard sur sa prise de décision. Combien y sont restés, cloués par contre-pied face à lui ? Il aura été, sans conteste, l'inventeur du service-volée parfait. De parfaits sévices en fait. Tous ses adversaires maudissait cette balle slicée, dont la trajectoire pouvait prendre toutes les allures. Cette photo de sport, sublime en noir-et-blanc, montre une parfaite ligne droite dans ce mouvement d'une complexité unique, partant du terrain au bas du dos jusque la balle elle-même.


La grâce, le génie, la beauté faite sport.




Le surnom de Mach 2 se comprenait facilement : voyez-le suivre sa balle de service au filet et volleyer dans les pieds de l'infortuné joueur de fond. Pour un peu, il l'aurait presque précédée, cette balle jaune tournoyante. Ses retours-volées, eux, avec une prise de balle ultra précoce déroutaient l’adversaire sans réplique possible. Mais cela demandait une lecture hors du commun de la trajectoire de balle arrivant à 180 km/h. John le supersonique, c'était le contraire du gros-bras, le joueur de toucher pur, tout en jeu-de-jambe. Ses balles, prises au plus près du rebond, guidées par un sens tactique ébouriffant, ne laissaient aucun répit à l'adversaire. En lieu de puissance, c’est le cerveau de Mc Enroe qui prenait tout le monde de vitesse. 





Bjorn Borg lui-même, dérouté par son adversaire de toujours, avait déclaré qu'il devait être «le seul joueur équipé d'un radar». L'œil infaillible de John, collé aux balles qui flirtaient avec les lignes, lui valait d'interminables altercations avec des juges un peu trop myopes, malheureux souffre-douleur d'une partie où le gaucher diabolique cherchait la perfection de coups impossibles.

Jamais on n’a vu John Mc Enroe -n°1 mondial du tennis durant 4 ans- frapper une balle. C'est notable aujourd'hui... Sa raquette n’était qu’un miroir. Les pieds faisaient tout le reste. 



Réalisant tous ses coups avec une seule prise, il ne jouait pas du tout avec la raquette ou le bras. On était 30 ans avant Nadal. Non, il jouait avec ses pieds, comme un danseur, en élévation, avec une légèreté et un placement proprement diabolique, prenant toutes les balles à niveau. Et aussi, comme au ping-pong, avec sa main. Il lui donnait le léger infléchissement nécessaire aux quelques degrés décisifs d’orientation de la balle. Ce que le film ne montre hélas pas, c’est une présence au filet inconnue à l’époque, un toucher de balle de faussaire. On l'aurait vu voler dit-on, dix centimètres au dessus du terrain. Un Messie crucifié plus d’une fois. 




Dans sa manière totalement indélicate de s'adresser à l'arbitre il y avait de l'insolence, diront les uns, le monocle sourcilleux. J'y voyais, moi, de la jeunesse, du soleil, de l’émotion, jamais une volonté de tricher ou de grappiller un point, toujours de rétablir la vérité. Ses colères ressemblaient à des crises (sublimes) contre une autorité raillée en public, la hiérarchie inflexible et incompétente, et bien sûr, recueillaient la bénédiction des jeunes gens que nous étions. Souvenons-nous de la pauvre Dunlop réduite à deux morceaux de bois, sur le central du sein des seins, à Wimbledon, devant la duchesse d'York. "Shocking !" avait titré la presse.

L'arbitre lui, drapé dans son indifférence, agitait la muleta, assénait les avertissements. Allait-on voir le champion s'effondrer, perdre tout contrôle sur la partie ? Au contraire, on était assuré dès lors que les points à venir seraient des plus foudroyants. Après le coup de gueule, c'était le coup de génie. Là encore, John Mc Enroe bousculait les données du tennis qui voudraient que l'on perde la partie avec sa concentration. Et bien non, fi des amendes, fi des pénalités, des remontrances. Rien n'entamait la marche du génie dans sa quête du sublime.
 Et tout cela se passait sous l'œil du père de John, omniprésent, ombre taciturne, énorme.



Ce que le film omet de dire c’est justement ce qui fait de Mc Enroe un joueur unique : -Personne n’a joué de cette façon avant lui et personne depuis n’a osé jouer comme lui-. Parce que prendre la balle tôt après le rebond est le tennis le plus difficile qui soit. Epuisante, cette technique demande un œil d’aigle. À la manière d'un ma^tre d’Aïkido, John jouait de façon à utiliser la force de l’adversaire contre lui-même. Mc Enroe aura porté à son apogée le tennis de "toucher", le tennis du XX° siècle, enseveli désormais sous les coups de boutoir du tennis des Becker, Krajicek, Del Potro, Nadal. Exception, Roger Federer, l'autre génie du tennis, fait sur ce point la transition entre ces deux siècles et ces deux façons.

Je trouve que le film de Julien Faraut ne rend pas hommage au sportif, à le montrer sans cesse en gamin criard échevelé. Ça, c’était la facilité. Car pour se hisser à la première place mondiale, il faut en suer. Et on imagine mal ce perfectionniste s’amuser au lieu de bosser, lui qui s’entraînait à dégommer une petite boîte d’allumette au service en n’importe quel endroit du terrain. Il aurait été utile peut-être à Julien Faraut de s’entourer de connaisseurs de la chose technique pour ne pas dire de contre-vérités, comme l'indique ce romantisme du joueur qui ne s’entraînerait pas. Ça, c’est faux. Le film de Faraut le montre en génie incompris et stérile, toujours en train de perdre.

Perdre ? En 1984, Mc Enroe c'est juste 82 victoires pour 3 défaites. 
96,47 % de réussite, record absolu, même Federer n’a pas fait mieux.


Et comme si ça ne suffisait pas, c'est aussi le plus grand joueur de tennis en double de tous les temps.
Il a tout gagné en double
de 1976 à 1984 avec Peter Fleming puis avec son grand frère Patrick Mc Enroe.
On n'en parle jamais,


Certes le film offre des images d’une rare beauté, où le point est fait sur le joueur et non sur l’échange. Ainsi, l’on peut se rendre compte qu’au tennis le corps du joueur effectue une sorte de danse sur le tarmac, si l’on s'efforce d'arrêter de regarder la balle, comme le chien. Mais, encore une fois il pêche par manque de conseiller tennistique. Or, on reste coi devant tant de pureté technique, pourtant jamais enseignée dans les écoles de tennis. 



Face aux tombereaux d’injures qu’il recevait à cause de ses colères légendaires, une question nous vient : Qu’aurions-nous fait si on avait éliminé des rangs le jeune Mc Enroe, enfant caractériel ? Parce qu'on l'aurait trouvé légèrement irrévérencieux ? Et quel enfant, à douze ans, ne l'est pas ? Messieurs les entraîneurs, transmettez autre chose que frustration et soif d'autorité. C'est dans un caractère trempé qu'on trouve le champion exceptionnel. Pas le grand champion, comme les Sampras et Federer irréprochables, mais plutôt le génie que fut John Mc Enroe, l’insurpassable, l’astéroïde aux éclats d'or.


Un doc France 5 : Mc Enroe/Connors

https://www.youtube.com/watch?v=B2MAvkpeU7g

dimanche 6 août 2017

Une seconde édition pour le récit "Autrefois Outrebois"

Je suis très heureux de vous annoncer que dès le 14 août 2017, Autrefois Outrebois, Chronique musicale et agricole aura la chance d'être réédité. Le récit sera disponible en avant-première sur le site du nouvel éditeur. 
J'ai la chance d'être réédité. Mon ami Gérard Lepinois, auteur de son état, me le faisait remarquer. Et en effet, il n'est qu'à compter la masse d'ouvrages publiés, remisés au fond des rayonnages des librairies, jetés en pâture, puis passés au pilori... pour la mesurer.

Autrefois Outrebois, lui, retrouve les vertes pâtures...


D'ici là, j'ai 50 exemplaires de l'heureux élu dans une édition révisée, que je réserve gracieusement aux amis qui me sont les plus chers, et aussi aux lecteurs qui m'ont fait l'amitié de m'écrire après la lecture de mon premier roman, Les Mauves, en 2016. (Envoyez-moi votre adresse postale les amis)

Je dois remercier Baptiste Moussette​, jeune éditeur qui est aussi devenu un ami, pour sa confiance.
Grâce à son travail patient et son goût pour les belles choses, Autrefois Outrebois, Chronique musicale et agricole  (nouveau sous-titre) est devenu un bien bel objet. 


Merci enfin à Vincent Muir, graphiste, pour ce magnifique pastel de couverture, plein du saisissement poétique d'un texte.
Benoît Rivillon

Je vous offre ici un extrait en lecture-vidéo


dimanche 19 mars 2017

Le théâtre sait-il encore ce qu’il est ?

Le théâtre sait-il encore ce qu’il est, comment il se pratique, et par qui ? Facebook est un fantastique moyen pour nous autres, auteurs, acteurs, metteur-en-scène, de faire savoir ce qu’il faut lire ou aller voir. Certains m’ont enjoint d’aller voir une pièce de Shakespeare à Paris montée par un monsieur qui l’a soi-disant auto-produite. Dans les faits, beaucoup de mécènes privés. Pourquoi la nommer, sans tirer sur une ambulance et s’attirer les foudres des collègues comédiens qui travaillent et n’y sont pour rien ?



Tout était réuni : une bonne critique, tous les chroniqueurs spécialisés sont venus et ont loué le fait de monter un Shakespeare. Un beau théâtre au milieu des bois, dans un cadre historique qui fait plus penser à Mnouchkine qu’à Bernard Murat. Alors bravo à l’attaché de presse sûrement mieux payé que les comédiens, qui a bien bossé, attaché devenu indispensable aujourd’hui pour faire en sorte d’être vu, acheté, et tourner. Le réflexe managérial contemporain est plus orienté vers l’attaché de presse et le poids de ses émoluments dans le budget, plutôt que l’option dramaturgique ou les qualités des acteurs.

Le vernis donc est beau, et 15 comédiens sur un plateau, c’est autant d’artistes tirés du chômage. Mais la réalité, la dure réalité du spectacle, ne pardonne pas.
Que trahissent la succession de tableaux au découpage parataxique, la démonstration d’effets techniques, la peur viscérale bien contemporaine du silence, un code de jeu incertain et sûrement bien monolithique ? Un manque de culture théâtrale.

Sait-on encore faire la différence entre une «mise en place» et une véritable direction d’acteur où s’inscrit l’histoire des interprétations ? À quoi donc auront servi les Stein, Strehler, et plus proches de nous Stratz, Seide ? Nous avions là, dans un théâtre public de renom pourtant, un travail sur l’interprétation digne d’un deuxième année de conservatoire, des comédiens réduits à ne faire que ce qu’il savent faire, sans guère envisager d’évolution dans leur parcours, les uns réduits à leur petit rôle (une idée fascisante comme disait Seide) et les autres tenus corsetés dans leur rôle monochromatique. Mais lorsque le rôle-titre est tenu par un acteur qui a 30 ans de métier et s’enferre dans ces travers-là, on ne comprend plus rien...

M. Gilles Costaz, a-t-on régressé à ce point que la médiocrité d’hier soit devenue l’excellence d’aujourd’hui ? Personne n’a osé dire à cet acteur de renom la dualité en miroir que possède le théâtre, où ce qui est murmuré sonne souvent plus fort que ce qui serait braillé, que le texte est plus long quand il est dit trop vite ? Et que la pensée d’un auteur et ses nuances (Shakespeare !) ne peuvent guère parvenir dans le cri... D’une façon générale, la force vocale sur un plateau ne fait pas la puissance d’un personnage, bien au contraire. Les vociférations du clochard parlent plus de son impuissance et non de sa colère.

Les critiques certainement abusés par le dossier présenté, ou abusés par des années de médiocrité théâtrale, de déconstruction de tout, finissent par se laisser déciller par un beau cyclo, une maquette de la proue d’un navire naufragé (la métaphore est très originale…). Faut-il qu’ailleurs ce soit si catastrophique ?

Il y a vingt ans lorsque Costaz ou Tesson disaient qu’un metteur en scène était «prometteur», il fallait courir découvrir ce nouveau Chéreau et l’on était sûr de ne pas assister au glacis propret d’un bon régisseur. Alors la réalité sociale de ce monde du travail qu’est aussi le théâtre, est là : nous vivons le règne du faiseur de dossier, du dénicheur de fonds privés et du caresseur de mécènes.

Les plus aptes à cet exercice sont les commerciaux, les gens de dossiers, et pas les gens de théâtre. Ce théâtre-là sur scène est déjà mort, mais attention : tant qu’il y aura des gens qui sauront se tourner vers les mécénats privés, ils apporteront cet argent à des structures publiques qui cèderont et subiront leur loi. Le désengagement massif de la puissance publique auprès des créateurs fait que ce seront ceux-là qui imposeront leur théâtre de Draguignan-1950.

On pourrait penser alors que j'ai un coup de mou... Non, ça va très bien merci. Seulement, voilà : la semaine dernière j'ai vu une mise en scène on ne peut plus ratée d'un magnifique texte à la Manufacture des Abbesses ; il y a quelques années j'ai vu un Cid au Français déclamé version rap, et c'est ce qui m'avait décidé ne plus aller au théâtre après vingt ans passés à chercher en vain l'émerveillement que j'avais ressenti face au Barouf à Chioggia de Strehler, à Olsniénie de Janusz Wisnyewksi et au Woyzzeck de Benoin. Déjà 25 ans...

Peter Brook disait déjà en 1990 qu’il ne savait que répondre aux décideurs des instances de subvention lorsqu’ils lui demandaient ce qu’il allait faire. Il leur disait seulement que par définition au théâtre «on ne sait pas ce qu’on va faire, car pour ça il faut d’abord travailler de longs mois sur un plateau avec les acteurs, les décorateurs, les éclairagistes, les costumiers.»

Donc mamans, papas, qui vous apprêtez à mettre vos enfants à l’étrier du monde du théâtre, surtout commencez par économiser sérieusement pour lui payer les Cours Florent, (oubliez les écoles nationales supérieures d’art dramatique) ne leur offrez pas les notes de Louis Jouvet, les écrits de Dullin ou de Chéreau sur la mise en scène ou les livres Peter Brook, pourquoi faire ? Enfermez-les dans leur chambre jusqu’à ce qu’ils entrent à HEC, ils pourront alors se projeter dans l’avenir, ce que nous, formés par la même puissance publique, ne parvenons pas à faire, bloqués depuis plus de vingt ans par les technos-structures et ses affidés du monde souterrain des adorateurs des plaquettes glacées des «dossiers de création».

vendredi 16 septembre 2016

Chers amis d’outre-ciel


L'avez-vous lu dans la presse, des ovnis ont été repérés par deux personnes en vacances au bord de la plage, dans mon con de paradis préféré, élu parmi les terres de ma région d'origine, Berck-sur-Mer.

L'observation a dû être impressionnante puisqu'elle a consisté en une dizaine d'objets ronds, volants à grande vitesse. Cette vidéo m'a donné envie d'écrire aux passagers supposés de ces engins véloces. Elle pose des questions politiques et philosophiques importantes pour l'avenir de l'humanité.

 

Chers amis d’outre-ciel,


Comme autrefois l’on jetait une bouteille à la mer, l'on expédie aujourd'hui une missive vers l'espace. Je suis très ému à l'idée de développer un échange commencé sur le papier voici plusieurs décennies et enrichi aujourd'hui par la possibilité d'envoyer un message numérique. 





Ma démarche aurait amusé et même inquiété voici encore trente ans. Mais aujourd’hui, alors que la Nasa comptabilise plus de deux mille exo-planètes vingt ans après la première détectée et quelques unes géo-similaires, par le fort impact d’apparitions de plus en plus nombreuses d’appareils non-conventionnels dans notre ciel, par la publication du dossier cinquantenaire de la correspondance Oummaine, tout cela a fait passer dans l’opinion publique votre existence d’hypothétique à fort probable.


Aussi faut-il se réjouir de l’imminence de votre dévoilement officiel comme annoncé par certaines éminences, pour ce qu’il signifierait d’espoir de paix et d’évolution spirituelle de prime importance. Et il faudra qu’il en soit ainsi, de façon à ne pas aggraver notre situation, déjà périlleuse pour cinq milliards d’individus sur sept.

Je me trouve en effet assez impatient de voir l’horizon se dégager pour l’humanité, désespéré de la voir embourbée dans ses travers infantiles, malgré les récents et innombrables progrès techniques et médicaux, hélas trop souvent corrélés aux efforts de guerre. Autant de vies sauvées par la science pour autant de vies détruites par la même science.

Comment envisager de futures relations, quelles sont nos attentes, quelle place pourriez-vous avoir parmi nous, comment pourriez-vous collaborer et quels seraient les types de projets susceptibles de contribuer au développement de ces futurs échanges, voilà une série de questions qui augure du meilleur, puisque nous pensons qu’elle émane d’un calendrier protocolaire dont une page vient de se tourner. Nous nous sentons, mes amis francophones et moi-même, très honorés d’être considérés comme des interlocuteurs. 



À mon sens, de futures relations ne pourraient advenir qu’une fois consenties par l’ensemble des nations. J’ai tendance à comprendre votre démarche depuis l’émergence du phénomène nucléaire comme inscrite dans une sorte «d’assistance à population en danger». Mais je n’envisage pas qu’une quelconque force étrangère entre dans nos affaires malgré nous, à moins que nous soyons dans un péril que nous ignorions. Votre entrée en jeu dans le concert de la diplomatie mondiale, et de surcroît à cause du présupposé de supériorité technique dont vous bénéficiez, concerne chaque habitant de notre planète. 


À ce titre, votre émergence devrait faire l’objet d’un Referendum mondial, supervisé par l’Organisation des Nations Unies. 

Qui que vous soyez, vous devrez disposer d’un statut d’extra-territorialité vous protégeant dans la dignité et l’intégrité de vos personnes. Devez-vous oui ou non, disposer d’un siège d’observateur ou de membre à l’ONU par un représentant humain ou non, seraient des questions à trancher. Tout ceci devrait être un minimum minimorum.


Il vous reviendra avec le temps et vos arguments de disposer ensuite de droits plus ou moins larges, comme celui par exemple d’un siège au Conseil de Sécurité selon vos attributions, et de continuer ainsi à œuvrer à une démilitarisation du monde. Vous nous demandez d’élever notre art de la diplomatie au carré ; je m’en réjouis.



La progressivité de votre présence, discrète voire épistolaire, est l’une des clés de l’assentiment général. Je pense que nous prévenir des risques que l’activité industrielle actuelle fait courir à toute la sphère du vivant serait un service bien compris par l’humanité présente et à venir. Il serait judicieux prioritairement de nous faire part de votre connaissance d’éco-systèmes similaires au nôtre qui auraient connu une tragique involution, ailleurs, par le passé, afin de mieux identifier les causes à éviter, et commencer de planifier une bifurcation de nos modes de production et de consommation d’énergie.



Quant aux types de projets susceptibles de contribuer au développement des échanges, il est bien difficile, sans une évaluation précise de ce que vous possédez comme niveau d’information, de supposer que nous aurions quelque chose à vous apprendre, ou encore des ressources à vous offrir en termes d’échange. Un forum unique et polyglotte pourrait recueillir démocratiquement les demandes et questions que chacun pourra se poser. Une version exacte d’un historique des échanges épistolaires avec la société Oummaine devrait être accessible dans toutes les langues connues de la Terre.



Il s’agirait non pas d’accélérer artificiellement notre niveau d’équipement ou d’information, mais de pouvoir au moins corriger les lourdes erreurs éthiques et techniques qui ralentissent ou obèrent notre évolution et notre pérennité (ex. développement du gasoil, du plastique, l'EPR, la bombe à neutrons, etc.). Voilà un type d’échange pacifique souhaitable de la part d’une société plus avisée que la nôtre. 
Il y a fort à parier que vous mettrez à mal certains intérêts financiers liés à la production, et que nous autres, amis des "étrangers", nous casserons le nez sur une propagande et une rétorsion de type capitaliste/protectionniste. Il faudra parer à cette éventualité que je ressens comme fortement probable et offrir une protection à ceux d’entre nous qui vous auront été les plus amicaux. Les récentes manœuvres d’intimidation et de contrainte exercées par les gouvernements sur les «lanceurs d’alertes» (Melle Manning, M. Assange, M. Snowden)  m’indiquent que notre chemin pourrait être difficile. J’attire votre attention sur ce point.



Les conséquences directes et indirectes induites par la conscience de votre présence et le danger potentiel que certains ne manqueront pas d’y voir, suivront leurs cours. Vous le savez, et avez sûrement bien conscience de la lourde responsabilité qui incombera au premier peuple exogène qui se présentera à nous.

Mais je suis persuadé que ce nouvel élément
d'ampleur historique ébranlera la conscience humaine au point d’interroger en particulier nos orientations racistes et spécistes.

 

Rendre nécessaires et vitales de bonnes relations avec l’Autre dans tous ses aspects serait selon moi l’un des points majeurs où vous pourriez conditionner votre collaboration.

Par exemple : l’abolition immédiate du travail des enfants, l’arrêt définitif des combats armés pour un règlement politique des conflits en cours, devrait être le préalable à toute forme d’aide et d’échange possibles.


Nous aurons ainsi un choix déterminant à faire entre l’ouverture et un progrès significatif rapide, ou la fermeture et demeurer englués pour longtemps dans nos contradictions.  

Nous aurions tous à gagner à élever le niveau d’éducation général, et en même temps de parvenir à l'abaissement du seuil de débilité mentale, à la réduction des névroses et psychoses parcourant la société. J’espère que cette évolution serait l’une des conséquences de votre collaboration ouverte. Il ne faudrait en aucun cas, je dis bien en aucun cas, que celle-ci soit perçue comme une mésestime de nos capacités humaines propres. Je redoute par dessus-tout cette conséquence d’infériorisation.


Qui que vous soyez, nous comptons sur votre intelligence et votre expérience pour peser à bon escient sur les forces négatives qui tendent à déshumaniser les humains dans leurs relations, dans leur travail, et aussi leur destinée.



Il sera alors essentiel à nos psychologies d’être rassurés tout à fait sur la nature pacifique de vos intentions ; l’angoisse archaïque de la dévoration s’érigeant en une puissante barrière exclusive, animale et meurtrière. Que votre avènement s’accompagne d’une abolition du sens du sacré au profit d’un sens plus universel et spirituel à venir me semble essentiel.

 

Sans le conditionnement de votre aide à l’éradication de ces abcès de notre humanité, vous pourriez être tenus pour complices des oppresseurs de notre monde et perdre vite toute crédibilité. 

La tâche qui vous incombe est immense et la nôtre aussi. Puissent nos réflexions vous y aider.



B.R






 




mardi 1 mars 2016

Les Mauves

Les Mauves
«Celui qui craint le ciel choir fait le ciel chu..»

édité à La Collection Privée du Capitaine
(Les Cahiers de l'Egaré)


Les premières pages ici

 Les Mauves, teaser HD



Ce roman un poil déjanté est mis en image par Eric Weber, réalisé par Jean-Teddy Filippe
Montage Didier Loiseau
Montage son Thomas Lefèvre
Mixage Adrien Le Blond
Musique Henri Heuzé

Avec Véronique Picciotto, (Benoît Rivillon, voix de l'auteur)
et les mauves Michael Curet et Alexandre Aubry

Commander le roman (220 pages) sur le site de l'éditeur





vendredi 6 novembre 2015

Henri Duparc par Ludovic Tézier

Les plus hauts sommets cessent d'intimider le marcheur dès lors qu'il ne regarde que ses pieds. Et l'on s'imagine les petits pas qu'il aura fallu faire à Ludovic Tézier pour cheminer jusqu'ici, et commencer aujourd'hui de contempler le panorama lyrique de là où il se trouve. Est-ce là un sommet ? Peut-être bien ; au moins l'un d'eux sur la chaîne des nombreuses crêtes que compte l'art lyrique et des rares moments où la Mélodie Française est aussi bien servie.

Aussi vous parlerai-je d'une interprétation de six Mélodies françaises d'Henri Duparc avec orchestre, écrites pour une voix de baryton lyrique accompagnée ici, et même beaucoup mieux que ça, par l'Orchestre Philharmonique de Radio-France. Nous étions en 2014, à Paris, Salle Pleyel.

Henri Duparc


Ce n'est pas le nom de Henri Duparc (Paris, 1848-1933) qui vient à l'esprit pour nommer un compositeur Français, enfin pas aussi rapidement que Chabrier, Chausson ou d'Indy... Or, ses compositions sont belles et impressionnantes de perfection dans les Mélodies, qui furent terminées en 1924 et composées au siècle précédent, inspirées par la crème des poètes de cette époque : Copée, Baudelaire, de Lisle, auteurs hallucinés ou impressionnistes, qui fondaient souvent sous leur plume peinture, musique, opéra et poésie


Duparc était de ces compositeurs que l'on connaît peu, qui, admirateur de Wagner comme l'était un Hugo Wolf, étaient de dangereux perfectionnistes de la cheminée : prêts à mettre au feu un opéra entier sur un coup de tête.

Ce concert, dirigé par Muyng-Wun Chung, fut relayé par France-Musique qui en assura la captation, et c'est heureux car il n'en existe hélas aucun disque commercialisé.

La situation discographique, on le voit, n'est plus ce qu'elle était dans les années 1950, où l'on n'hésitait pas à faire enregistrer l'Intégrale des Mélodies de Messiaen à un jeune soprano de vingt-et-un ans (!) encore au Conservatoire (qui deviendra Michelle Command, s'il-vous-plaît, référence disparue du catalogue EMI). Aujourd'hui, il faut lever une armée de communicants pour faire savoir la qualité de tel ou tel artiste, à moins d'avoir le timbre et le physique d'une Elīna Garanča, ou d'un Jonas Kaufmann, et encore... combien de valeureux professionnels passent inaperçus ? Cette soirée fera donc partie du trésor du fonds des archives de Radio-France. 

Ludovic Tézier, lui, n'a pas de site web. Pas besoin, ou pas le genre de la maison. Mais ça ne l'empêche pas de faire le tour du monde avec son instrument, devenu en l'espace de vingt années de labeur acharné et dix années de standing ovations all around the world le grand baryton-Verdi d'aujourd'hui, tel qu'il y eut naguère Ernest Blanc en France dans les années 50, et les "Grands Italiens", Piero Cappuccilli, Ettore Bastianini en tête, ou plus près de nous, les Cornell Mc Neil et Vladimir Chernov.

Il est ici l'interprète de ces Mélodies avec orchestre, ô combien difficiles d'interprétation musicale et de réalisation vocale, mais si belles à s'y plonger qu'on en ressort à la fois plus cocardier et plus désespéré, car on sait que le volatile gaulois aime à chanter les pieds dans la merde...


Bref, entendre une telle voix dans ce répertoire si peu donné est une stupéfaction renouvelée, tant par l'intelligence et la couleur que Tézier donne au texte, que par la sidération que provoquent ses immenses envolées dramatiques, ces grands aigus qui sont l'apanage de quelques voix dans le monde, et encore, quelque fois par siècle. Vous trouvez que j'exagère ? Ecoutez un peu, pour voir.

Et dites-vous aussi que ça n'est qu'un enregistrement, diffusé en radio, et compressé. Une autre chance encore est d'entendre le chanteur à quelques mètres de soi. Il faut s'imaginer (ou mieux, courir l'entendre...) l'ampleur des harmoniques vocales à l'œuvre lorsque les chevaux sont lâchés, et lorsque la richesse qui s'en déploie se mêle à celles de l'orchestre. Elles sont comme les rosses qui menèrent Berlioz à son ultime domicile, semant tout le cortège à travers champs, hennissant sous l'orage. Il est alors tout bonnement prodigieux d'entendre l'histoire de l'opéra se façonner sous vos yeux.
 
Car aucun enregistrement ne restituera toute la richesse d'une voix, jamais ; et ce n'est pas une écoute sur Youtube qui permet de jeter un jugement définitif sur une voix. Ce ne sont pas non plus les limiteurs-compresseurs utilisés au mixage ou même dès l'enregistrement, qui permettront d'en apprécier la taille ou la richesse. Ainsi au disque a-t-on l'impression d'entendre les même types vocaux chez des artistes aux caractères très différents ; de Frau Schwazkopf à Frau Moser toutes deux grandioses, il y avait un gap. Il est vain d'essayer de comparer, à partir d'un support comme Youtube, les tessitures d'un Alagna et d'un José Luccioni, a fortiori quand soixante années de technique sonore les séparent. Pour résumer, il faut être en présence vivante des artistes du spectacle vivant.

Vous entendrez ici chez Tézier un souffle dont le chant respire entièrement, mais dont l'art consiste à ne jamais rendre visible la cuisine du chef. Il faut le voir à l'opéra, (bientôt  à Toulouse dans Rigoletto en novembre 2015, ou à Bastille dans Il Trovatore avant le Mac Beth de Vienne en juin 2016) où il donne l'impression de ne jamais prendre d'air entre ses phrases. Et Tézier trouve dans ce répertoire francophone de rares ressources expressives, intérieurement déchirées, qui font tout le sel de cet enregistrement unique. Toujours dans son artisanat de bon aloi, la culture de sa terre, loin du clinquant des médias, l'interprète en fait la démonstration : toutes les qualités requises par cette version monumentale sont ici réunies par le chanteur, qui plie son instrument à toutes les nuances des textes poétique et musical.

Notons les phrases amples et majestueuses de La Vague et la cloche : "...Pourquoi n'as-tu pas dit / S'ils ne finiraient pas / L'inutile travail et l'éternel fracas / Dont est faite la vie," (!), écoutons les derniers vers de La Vie antérieure, "... Le secret douloureux qui me faisait languir" (!), puis l'ahurissant crescendo de Phydilé, mené sur plus de 4 minutes, avec une clarté des intentions et un caractère élégiaque jusqu'à ce forte étourdissant, signature des interprètes lyriques de tout premier plan.

J'oserai dire que Tézier, le plus italien des barytons français et le plus francophone des barytons-Verdi, perpétue soir après soir la tradition du Baritono lirico-drammatico. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, on peut seulement dire qu'il aborde avec une même pertinence intellectuelle et un même bonheur vocal des ouvrages qui vont de Mozart à Strauss en passant par Tchaikovsky ou bien sûr Verdi ; d'un Nathanaël à un Yeletski, d'un Scarpia à un Ashton en passant par un Almaviva ou un Rodrigue. À l'occasion de cette radio-diffusion passée évidemment inaperçue, il entre de façon implacable dans l'histoire des interprétations des Duparc avec la maestria, la puissance et l'élégance qui sont désormais attachées à son identité artistique.

Muyng-Wun Chung fait aussi profiter l'ouvrage de sa longue expérience de chef lyrique. Il faut féliciter l'orchestre, car pour mener à bien un tel programme, c'est une gageure, il faut constamment être vigilant au bon équilibre entre masse orchestrale quelquefois rugissante, et piani d'une voix au bord de la falaise

La partition est servie par un Orchestre de Radio-France somptueux qui a si bien travaillé à restituer les transitions, les atmosphères parfois étranges que Duparc a su intercaler pour enrichir, s'il le fallait, les textes de ces poètes qui font honneur à la langue française. Il faut alors écouter. C'est un voyage dont l'invitation ne se refuse pas.


La Vague et la cloche,

mi mineur, poème de François Coppée [1871, version orchestrale vers 1913]





Chanson triste
Mi majeur, poème de Cazalis [1868, version orchestrée 1912]



 
La Vie antérieure
Mi majeur, poème de Baudelaire [1876-1884, version orchestrale 1911-1913]




Testament
do mineur, poème d'A. Silvestre [1883, version orchestrale 1900-1901]




 
Phidylé,
La majeur, poème de Leconte de Lisle [1882, version orchestrale 1891-1892]



L’Invitation au voyage
do mineur, poème de Baudelaire [1870, version orchestrée 1892-1895]



À écouter de préférence avec un casque musical



Pour compléter, une trouvaille : Mélodies et airs d'opéras français, concert de Saint-Etienne, 2007
https://www.youtube.com/watch?v=w-235qYeu6I



Merci
http://www.musicologie.org/Biographies/d/duparc_henri.htm 

mardi 22 septembre 2015

Shakespeare et Cervantès, cadavres exquis



En ces temps où les forces obscures combattent la lumière avec vigueur, 44 auteurs (français, espagnols, mexicains, cubains, canadiens, néo-zélandais) ont écrit un recueil de textes pour les 399 ans de la mort de Shakespeare et Cervantès.

Vous pourrez y trouver ma contribution : Le Dit de l'âne, pages 422-428

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Editions Les Cahiers de l'Egaré

samedi 13 décembre 2014

Histoire... d'un monde qui ne parvient pas à émerger

Giorgio Strehler le disait, lorsque certains soirs la magie n’opère pas, mieux vaut arrêter la représentation.



Bien malin qui pourrait dire ce que serait cette magie. On pourrait appeler ça une qualité de partage entre spectateurs et artistes, unis par un même lieu en un même temps. Difficile de définir. Mais pas difficile en revanche de reconnaître quand ce petit supplément n’est pas là. 

Hier soir, on est allé au cirque par un temps à remplir des piscines. Chez Arlette Grüss*, j’ai assisté à une représentation où à peu près tout manquait, sauf la batterie de lumières, de sonorisation, et le chauffage, merci. Ah, çà ! on était bien assis, mais on aurait préféré être moins confort et que les artistes aient l’air mieux payé. Dans l'art du clown, il doit réussir son numéro de jonglage en le ratant, sans s’en rendre compte, puis rater son entrée en ayant l'air de la rater vraiment, et rater encore sa sortie.

Il manquait à ce spectacle appelé «History»… non seulement quelques détails techniques d’une régie trop compliquée et pas toujours bien réglée, mais surtout il y manquait un vrai sourire, une joie. C’était le cirque de Moscou de 1991, les lumières en plus, une humeur de fin du monde. On pourrait presque ne pas leur en faire de reproche. Car c'est bien d'insouciance que nous manquons, en cet hiver, en cette année, en ce pays, en ce début de XXI° siècle ! D'insouciance, de légèreté, de poésie.

Outre qu'on puisse se demander s’il est vraiment amusant de voir des vaches s’agenouiller devant un dompteur tout-puissant, j’aurais préféré ne pas voir d’animaux plutôt qu’assister à cette triste galerie des curiosités obèses et dépigmentées. Les éléphants et les tigres, à ce titre, font peine à voir. C’est même la première fois que je ressens tant de peine pour les animaux, ou plutôt que je ressens leur peine. Même l’âge des éléphants à la peau usée a fait surgir en moi cette question : où les animaux de cirque vont-ils finir leur vie ? Comment sont-ils récompensés, après une vie de travail, d’une nature animale bafouée, domptée, artificialisée, ne leur offre-t-on pas une liberté, au moins une condition de repos et d’espace, perdus qu'ils sont pour la vie sauvage ? Comme ils nous représentent bien, et mieux que des comédiens qui auraient eux le choix de jeter l’éponge.

Que dit le droit pour la détention d'animaux sauvages ? «Les cages intérieures abritant des tigres doivent mesurer un minimum de 7 m2 par animal»... Les cirques sont très réglementés. Mais sept mètres carré pour un tigre, bigre ! Comment s’étonner qu’ils soient obèses ? Une surface qui fait penser aux studios cages-à-lapin que certains propriétaires parisiens "offrent" contre un loyer. La France, pays de grande tradition circassienne qui compte une centaine de troupes itinérantes, va-t-elle légiférer en un sens plus favorable à la nature de ces animaux ? Voire les interdire ? L'Espagne a bien interdit la tauromachie...**

Bien sûr, il n’est pas question d’ouvrir ici un mauvais procès au gens du cirque Arlette Grüss qui, on l’espère, traitent bien leurs animaux. Mais la question reste ouverte : comment un animal, né en captivité, même «bien traité» peut-il être heureux en cage, sans savane à brouter, sans possibilité de fuite, sans porter son regard au loin, sans flairer d'autre proie que les pots d’échappements de diesel sur les belles routes de France ? Comment ? Pour eux, la Strada, c’est le périph’...
Et quand ils arrivent devant nous vos animaux, merveilleux gens du cirque et poètes de la piste, je suis au regret de dire qu'ils dégagent une tristesse qui se voit.

De toute façon, rien n’est à reprocher aux Grüss, qu’il faut continuer à soutenir en allant s’asseoir sur leurs gradins. Là s’y assied tout ce qui fait notre peuple. On est définitivement plus entre nous au cirque qu'à l’opéra, où la moyenne d’âge, la condition sociale et même la couleur de peau sont plus homogènes, quoiqu’en disent les promoteurs de l’art lyrique. Non, rien à dire, tous les artistes font du mieux qu’ils peuvent -même si hier tous ont raté leur numéro sauf les Chinois- et je suis sûr que le Monsieur Loyal, à mi-chemin entre un Roch Voisine et un prince de Disney pourrait mieux faire à ne pas grossir la voix à tout propos. Non, ces braves artistes acrobates et voltigeurs sont peut-être pris dans l’emballage d’une velléité de mise en scène, d’une histoire où l’enfant se souviendrait de ses premiers émois devant son clown de peluche... sauf que tout cela a l’air plaqué. Il manque sûrement à cette « History» une vraie mise en scène, un thème de l’enfance décliné, que sais-je un clown culbuto, et non ces costumes kitschissimes et ce rayon laser qui ont plus à voir avec les discothèques des années 80 que l’Enfance affichée. De ce point de vue, l’affiche du spectacle, tout l'emballage, est une arnaque. La chanson d’accueil entend dépoussiérer « le cirque d’hier » ; hélas, tout y ramène, et à grande vitesse.


* (Ne pas confondre avec le cirque Alexis Grüss)

**En savoir plus : http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/01/09/les-animaux-sauvages-bientot-chasses-des-chapiteaux_4344888_3244.html#eZaRDSzmjGBvwxf5.99

Le site du cirque Arlette Grüss, voir les onglets sur leur histoire, intéressante :
http://www.cirque-gruss.com/

lundi 6 octobre 2014

La douleur de se savoir Homme


https://www.youtube.com/watch?v=79HwVZkoMbw
La douleur de se savoir Homme



Cela semble avoir le pas
D'une marche en avant
Du progrès

La Terre que nous avons contemplée
Pour la première fois depuis le ciel
D'une machine
Nous porte
Comme des enfants
Nous avons besoin d'elle
Pour grandir, aimer, rêver

Drôles d'enfants du ciel et de la Terre
Nous tuons nos frères
pour nous en nourrir

Et bien souvent nous la salissons
Cette Mère nourricière
Souillons son eau
Souillons ses champs
Avec le prolongement de nos mains
Nos machines Pour aller vite Pour aller loin

Elles dévorent son sein
Et la submergent
En la dévorant on s'asphyxie

Cela ressemble à une marche en avant
Un progrès

Toutes les mères aiment leur petit
Mais il n'y a pas de lait pour tous
Les uns enfants devenus grands
Dirigeront les autres
Par la peur, par l'effroi,
Tout moyen
Par la mort

L'insulte à l'intelligence
Œuvre chaque jour

La pluie noire des bombes
Tombe
Sur les orphelins

L'Homme
On le voit tomber
Chute
Le long des tours qu'il a érigées

Puis il reconstruit courageux
Ce que ses frères ont détruit

Les blessés n'ont pas d'âge
Pas de nationalité

Ils  implorent du regard
Les bien-portants
Et les supplient d'être libres
Tel ce petit singe qui lève les yeux
Interroge des étoiles qu'il voit scintiller....
et n'y comprend rien

mardi 9 septembre 2014

Un générique quasiment historique



"Amicalement Vôtre" a le plus grand générique de tous les temps. Revoir.


(ici dans plusieurs versions !)


Son budget en fit la série la plus dotée, et peut-être la plus rentable : 24 épisodes tournés en 11 mois, de 1970 à 1971. L'unique cas dans l'histoire de la télévision d'une série qui a droit à un traitement de générique de cinéma.  Et c'est bien foutu. Il y a là un parallélisme phénoménal entre le portrait des personnages et le parcours réel des deux acteurs.

Sans connaître encore les personnages, on sait déjà qu'il s'agit d'un choc, d'un coup de foudre entre ces deux couleurs, rouge et bleu (qui sont aussi les couleurs communes des drapeaux anglais et américain), figurant l'improbable rencontre entre ces deux gosses aux passés très différents. Deux passeports, deux carnets de famille dès les premières images, qui mettent l'accent sur leurs origines : l'amerloque à gauche, l'angliche à droite comme sur le planisphère.

Les images d'archives nous montrent un milieu du XX° siècle tourné vers la finance et le pétrole, les jeux, les femmes. Un Daniel Wilde, turbulent gamin d'une cité ouvrière de la Manufacturing Belt ayant servi dans les Marines, à la réussite fulgurante campe sa biographie en quelques images.
Le dipôle jeux et investissements / chance et rationalité, reflète assez bien la mythologie outre-atlantique du rêve américain, où la possibilité d'élévation sociale était donnée à tout immigré qui, pour ne pas manier l'académisme de Shakespeare avait la chance de savoir manier les chiffres (mythe typique du XXème siècle aux USA ; en Europe, ça n'a carrément jamais existé).

C'est aussi la rencontre de deux sportifs, là aussi culte nord-américain, de deux mâles dominants ; mais aussi choc de deux cultures, l'une juive européenne, l'autre britannique très aristocrate. "Daniel Wilde" a une consonance clairement ashkénaze ; or, Tony Curtis était lui-même né sous le nom de Bernard Schwartz, d'une famille hongroise immigrée dans le Bronx. "Brett" sonne très Britannique et Sinclair presque français... à cet égard, on peut y voir un écho de l'histoire télévisuelle New-Yorkaise (ABC).

Cette série s'adressait aux p'tits mecs. Rien qu'avez le générique on savait de quoi ça retournait : De ce que tout petit garçon est censé rêver devenir. Un bel homme à l'abri du besoin, prodiguant même quelques largesses, jouissant des bords de mer et des jolies filles au volant d'un bolide. Voilà...

Danny Wilde, c'est le type du personnage classique du Valet, malin et un brin chanceux dans sa version post-révolutionnaire, valet actionnaire. Brett Sinclair, le type du Maître. Elevé sur les bords de la Tamise, étudiant à Oxford, sportif lui aussi, ayant servi dans la garde royale, qui aura fait sa fortune dans le milieu des courses et de la formule 1, milieux tous deux exclusivement aristocrate ou grand-bourgeois à cette époque. Ce sera de toute évidence le M. Loyal de l'affaire.

C'est dans la tradition comique la rencontre d'un arlequin et son maître, dans celle du cirque, d'un Auguste (Danny Wilde) et d'un clown blanc (Brett Sinclair). L'histoire personnelle des acteurs se superpose à celle des personnages de la fiction. Le casting à cet égard est parfait, qui réussit le coup-de-maître de réunir à la télévision l'inénarrable Joséphine de "Certains l'aiment chaud" (Some like it hot !) et "Le Saint" qui deviendra James Bond !

Ces images d'un épisode non existant, qui précèderait la série, sont un magnifique détournement d'archives qui donne à voir en résumé ce qui manque souvent aux héros de nos séries d'aujourd'hui, une épaisseur historique.

Il annonce également le contenu réel de la série, à savoir qu'ils vont opérer dans un milieu qu'ils connaissent bien, l'entre-soi des yachts, des casinos des côtes française, monégasque et italienne.

Outre la beauté de cette séquence, le rythme du montage et sa concision, à elle seule chef d'œuvre graphique, j'ai toujours été soufflé par ce tour de force de narration ramassée, selon moi plus grand générique de tous les temps.

Ce qu'on ne remarque pas tout de suite, c'est que les deux colonnes, rouge à gauche, bleu à droite, se réunissent pour laisser place à l'image de format cinématographique à l'exact point milieu du générique : 37 ème seconde pour 1' 08 ! On atteint au sublime.

Il serait juste de rendre hommage au compositeur John Barry, sans qui le générique de ne serait peut-être pas ce qu'il est, tant les images et la musique fonctionnent de l'une à l'autre, alors que la mélodie démarre sur un mode étonnamment nostalgique, donnée par une sorte de piano honky-tonk  évoquant plus l'atmosphère crépusculaire d'un cabaret enfumé que la geste des casinos sur la Riviera.

Hommage aussi aux voix françaises qui ont été magnifiquement choisies et dirigées aussi, on n'en parle jamais, et ce serait pourtant justice.  Voyez un épisode en V.O ; la voix de Michel Roux qui opère une alchimie rare avec le jeu de Tony Curtis semble manquer.

Voilà ce que je pouvais dire d'un générique des années 70, qui résonne encore encore chez chacun de nous, qui nous blottissions l'un contre l'autre pour regarder la télé, où nous revenions des hangars de paille la sueur au front et la soif au cœur, après avoir donné notre version champêtre des Mystères de l'Ouest, mais ça c'était entre quatorze et quinze heures... Il nous restait une bonne heure avant Amicalement Vôtre.

Bonus  : une séquence du premier épisode où le générique est repris (notez l'avion qui décolle au moment où les deux pilotes partent sur les chapeaux de roue !)

https://www.facebook.com/377233752350846/videos/927967593944123/

mardi 6 mai 2014

Lectures foisonnantes : 4 lectures à Paris de Rivillon, Doublet, Diderot, Grosse

Chers amis, 

Je vous invite à des lectures publiques et gratuites où j'officierai :

Il y en a 4 qui se suivent, vous avez donc le choix, alors suivez bien !


Autrefois Outrebois 
de Benoît Rivillon 
par mes soins
le Vendredi 23 mai à 19 h 30

Librairie Libre Ere 
111, bd Ménilmontant, 
75011 PARIS
Métros : Père-Lachaise (2) ou Rue St-Maur (3)


( Entrée libre Réservations 06 60  84 87 56)  


Puis  2 jours plus tard :

Tourmente à Cuba 
de Jean-Claude Grosse 
avec 
Marina Boudra
Moni Grego
Marc-Michel Georges
Elie Pressmann et Benoît Rivillon
Dimanche 25 mai 
à 18 h 00
Théâtre de l'Ellipse
43A, rue Servan
Paris XI ème
(4 invitations- Réservations 06 24 60 19 18)  


 le lendemain 

L'émergence d'une île 
1er texte de Lucie Doublet
Lundi 26 mai 
à 19 h 00
Théâtre de l'Ellipse
43A, rue Servan
Paris XI ème
Métro Rue St-Maur (3)
( Entrée libre - Réservations 06 60  84 87 56

Puis : 

La 4ème lecture
Diderot, pour tout savoir
Mardi 27 mai
à 19 h 00
avec les Ecrivains Associés du Théâtre
Frédéric Andrau, Estelle Bonnier-Bel Hadj et Benoît Rivillon

Le Grand Parquet

Les Jardins d'Éole
35 Rue d'Aubervilliers, 75018 Paris
(métros Stalingrad, Riquet, Marx Dormoy)
 (Entrée libre réservations 01 44 06 62 77)


Cet événement est sur facebook


mercredi 9 avril 2014

Souvenir d'un Don Carlo (concours littéraire de l'Opéra de Paris)

Je publie ma participation au concours littéraire de l'Opéra de Paris. Voici mon hommage aux acteurs lyriques, à la grandeur tragique de leurs personnages, à la mise-en-scène d'opéra et à ses lumières souvent fabuleuses.
Il est dédié à une scène que j'ai eu la chance de voir répétée puis chantée des dizaines de fois, devant moi, à quelques centimètres de moi. Etaient réunis cet homme que je trouve admirable, le baryton Ludovic Tézier et le ténor italien le sympathique Stefano Secco.


Où scintillent les Hommes
(réminiscence d'un Don Carlo)
 

Une onde, un flot sonore, comme une mer qui vient mourir sur les flancs de la prison. Un rideau s’ouvre sur le suintement des murs. Les violoncelles le disent qui transpirent eux aussi. Ce monde sans liberté est souterrain où les complots s’ourdissent. Une clarinette se rappelle à l’espoir de Carlo enchaîné. Nulle colombe, rien au soupirail. Un bleu nocturne le dispute à l’obscurité du drame. Qui donc allait advenir ? Verdi nous suggère qu’une dernière porte s’ouvre sur la nuit.


Devant l’huis sombre, colossal de douceur et de paix, le Marquis de Posa s’avance le long d’une raie de lumière et découvre son ami. Une dépouille. Un lambeau d’homme placé aux fers. Quel effroi. Que t’ont-ils fait ? La voix de l’ombre porte sa lumière de baryton. Le messager de la Flandre tend le bras. Il se prépare à ces déchirements dont on ne revient pas. Seules les cordes font vibrer l’air chaud. Le ténor a des inflexions douloureuses qui nous suspendent à son chant, à la fois larmes du présent et sourire des années passées ensemble. Cette ligne de crête fragile, la justesse d’un orchestre donné piano et la rondeur cristalline des deux voix, me laissent dans une sidération que je ne crus jamais éprouver.

Je me retourne un instant ; et alors que je me croyais seul au monde, créateur de cette scène, rêveur privilégié de cette histoire, pas un spectateur ne manque à l’appel : la salle de la Bastille se soulève d’une même poitrine. Nous sommes sublimés par le chant de liberté et de fraternité de Carlo et de Rodrigo, de Stefano Secco et Ludovic Tézier. Ils vivent sous nos yeux ce que vivent deux amis que la mort ou le devoir séparent un jour. Nous étions avec eux. Nous sommes eux.

À partir de ce moment, Ludovic qui chante Posa tient son ami Stefano qui chante Carlo par un long souffle qui jamais ne semble finir. «Il convient ici de nous dire…». Mais Posa ne trouve pas les mots, ou n’ose les prononcer. Son hésitation résonne comme un balbutiement d’éternité. Il ouvre par ce silence un dialogue, entre le chant de l’homme et le silence de dieu. Les cordes alors accompagnent ces paroles qui n’adviennent pas ; de celles qui contiennent l’amour de l’un pour l’autre. Il convient ici de se dire adieu. C’est dit.

Posa pose alors pas-à-pas, jusqu’à nous, chaque syllabe dans la lumière du couloir, en ce jour suprême. Ses harmoniques nous enveloppent. Comme seul il est possible à l’opéra, une bulle se forme autour de lui. Et c’est à ce moment-là du serment de Posa qu’un éclat nous replonge : un arquebusier caché. Plus jamais ils ne se reverront.

C’est le mot de l’Opéra, ça : Jamais. Giammài. Le tireur habile que Verdi a placé là prive Rodrigue de ses projets de paix, et Carlo de son meilleur ami. Carlo engeôlé le cajole encore, lui tient la tête, la lui caresse. Peut-être.

La terre se dérobe sous nos pieds. Ma voisine laisse tomber son programme. L’opéra se grave dans le cœur à faire entendre le souffle de chaque être. Angélique, abominable, vainqueur. Blessé, désespéré, amoureux…

Le Marquis de Posa redevenu Rodrigo, un temps si altier, redevenu à temps pauvre humain, accuse un effort haletant. Plus tout à fait vivant, pas encore éteint. La plus haute vibration de sa voix envahit soudain la salle : il faut sauver la Flandre. Le baryton se redresse, tremblant, halluciné, cherche le regard de son ami. Un «Ah !» abrupt, tranché dans son envol, ouvre sur le néant : douleur adamantine de qui perd la vie, il nous laisse au bord du précipice. «Ah !».

Sa grande résonance dans le vide me parvient encore aujourd’hui. La paix du sépulcre a vaincu, nous sommes orphelins, viva Verdi.




 2011, à Paris-Bastille.

Merci à mon ami Benito Pelegrín : c'est bien un arquebusier qui tire sur Rodrigo et non le "spadassin" qui a concouru, lequel n'aurait pas le bras assez long... car c'est ainsi que Verdi a annoté sa partition.

Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017